API et sport amateur

API Economy 2/4

Date
26 octobre 2021
Temps de lecture
5 minutes
Rédacteur
Da Cyril
Editeur
Lang Apolline

1- Les enjeux

“SuperSapiens”, tout un programme ! Tel est le nom d’une application destinée aux cyclistes et aux trailers, qui permet grâce à un biocapteur de mesurer pendant l’effort leur taux de glycémie, et d’optimiser leur alimentation en sucres. Initialement conçue pour les diabétiques, cette technologie connaît un nouvel essor en promettant des performances accrues aux sportifs endurants.

Le déploiement des APis dans le domaine du sport est étroitement lié au développement du Quantified Self (“automesure connectée”) rendu possible depuis les années 2000 par les capteurs embarqués dans les smartphones (GPS, podomètre, accéléromètre) puis les dispositifs de mesure connectés externes (oxymètre) ou interne (le biocapteur déjà cité).

L’irruption des applications a fait évoluer les pratiques des sportifs, notamment en ville et pour les sports individuels comme la course, le vélo, ou le street workout. Elles génèrent des données sportives et/ou de santé, la frontière est mince. Ces datas intéressent les équipementiers, les villes comme les assureurs, dont certains proposent des applis de coaching au même titre que Décathlon.

La place croissante prise par les applis et les start-ups en matière de sport se traduit aussi par une baisse du nombre de licenciés et une évolution du rapport aux fédérations sportives, un phénomène accéléré par la pandémie de coronavirus.

En parallèle, la gestion de la data (administrative, sportive ou médicale) devient un enjeu majeur dans l’approche de la performance et dans le suivi des sportifs. La détection des talents, le développement des athlètes constituent des champs d’application pour la recherche et les start-up de la sportech. 

L’APisation du sport n’est pas un phénomène spontané, surtout en Europe, en raison de la sensibilité des données collectées, de leur gouvernance, et de la diversité des pratiques et des acteurs. Mais pouvoir challenger Loïck Peyron dans une régate virtuelle ou comparer ses stats de premier service avec celles de Rafael Nadal, c’est déjà réaliser un vieux rêve de compétiteur...

 

 

 

2- Les exemples

 

Strava connecte la ville aux sportifs

 

Le bois de Vincennes représenté par Strava (Strava)

Strava est une application sur smartphone utilisée dans de nombreux sports, elle est numéro 1 des applis en cyclisme et running. Grâce au GPS, elle collecte les données classiques suivantes :

- parcours (vue plan) ;

- élévation (nette et unidirectionnelle)

- vitesse (moyenne, minimum et maximum) ;

- temporalité (totale et temps de déplacement) ;

- puissance/énergie.

La société californienne est basée sur un modèle commercial dit freemium. Une partie de l’appli est gratuite, et un accès payant premium offre l'ensemble des fonctionnalités comme le partage illimité de ses performances ou l’accès à l’historique de ses stats. Strava dispose d’APIs pour des dizaines d’applications (coaching, performance, réseau social, montre connectée, etc.) et revendique plus de 70 millions d’athlètes équipés à travers le monde.

Pendant la pandémie, alors que les communautés urbaines et les collectivités locales s’interrogeaient sur les répercussions des confinements et du télétravail, Strava leur a ouvert gratuitement l’accès aux données de son service Strava Metro afin de les aider à prendre des décisions en matière d’aménagement. Les villes ont pu connaître les parcours les plus empruntés par les sportifs urbains afin d’améliorer les infrastructures, à partir de données anonymisées. Après Oslo, Seattle ou Helsinki, la Métropole de Lyon a ainsi intégré les données de Strava Métro à son Observatoire des mobilités. À Paris, les données de Strava servent à étudier les choix d’axes cyclables ou de création d’infrastructures.

Les données Strava peuvent aussi être connectées avec OpenStreetMap, l’application de cartographie gratuite qui est mise à jour par ses utilisateurs au moyen de traces GPS, de manière à améliorer la carte d'OpenStreetMap. Le cercle vertueux des APIs se met en place: un service crée de la valeur pour les utilisateurs qui améliorent en retour ce service.

 

Le contre-exemple : la raquette de tennis connectée

Une raquette de tennis "connectée" est une raquette équipée pour enregistrer des données de jeu et les restituer. Ces données sont enregistrées par des capteurs plus ou moins intégrés - et plus ou moins lourds, ce qui peut modifier le jeu lui-même.

Une raquette connectée indiquera par exemple 

- le nombre et le type de coups joués (coup droit, revers, service, smash, etc.)

- des statistiques sur le centrage des balles dans le tamis,

- des statistiques sur la vitesse de balle,

- des statistiques sur l'effet donné à la balle.

La raquette connectée produit surtout des données sur le comportement de la balle dans la raquette du joueur, mais elle ne le renseigne ni sur l’efficacité dans l’échange (une balle correctement centrée peut-être “out”), ni sur la qualité de son jeu. Il faudrait pour cela croiser les données de la raquette avec celles des raquettes adverses voire des informations de caméras couvrant l’ensemble du court.

Il reste que porter attention à ses statistiques de jeu aide à s'investir dans sa pratique du tennis, ce qui peut entraîner des progrès réels. En outre, il est possible de comparer ses statistiques au sein de la communauté des autres joueurs qui ont la même raquette ou le même dispositif, ce qui peut être un facteur de motivation.

Les données de la raquette connectée auront un intérêt pour le vendeur et le fabricant. Pour le premier, indiquer au joueur le bon moment pour revoir la tension du cordage de sa raquette, par exemple. Pour le second, attester des performances de son produit ou au contraire être averti d’un défaut sur un modèle.

Les premières raquettes connectées ont été commercialisées vers 2014 en France, mais le succès n’a pas été au rendez-vous. Le surcoût (une centaine d’euros) n’était pas négligeable, pour des usages trop limités. D’autres dispositifs de connexion ont vu le jour (capteur mobile, bracelet…) mais les limites des applications restent liées aux règles du tennis elles-mêmes, à leur usage dans l’espace restreint du court, et à la pratique globalement traditionnelle de ce sport.

 

3- L'APIsation chez... Décathlon

Souvent citée comme l’entreprise préférée des Français, Décathlon met une grande énergie à démocratiser la pratique du sport, du débutant au passionné. Innovante, l’entreprise garde un temps d’avance dans sa transformation numérique : omnicanalité, apisation du système d’information, objets connectés…

Alexandre Faria opère au sein du groupe Decathlon en tant que Software architect. Il construit et met en place un écosystème API destinés aux utilisateurs (développeurs internes ou externes), ainsi que des outils d’authentification sécurisés. 

 

Les APIs faisaient-elles partie de votre projet initial ? 

Non, initialement seul un besoin métier avait été exprimé, améliorer l’efficience de nos collaborateurs sur l’utilisation des applications liées à leurs métiers.

 

Comment en êtes-vous arrivé à APIser votre activité ?

Pendant le projet, il a été identifié que permettre à nos collaborateurs d’effectuer leurs tâches en situation de mobilité était une clé dans le gain en efficacité (du simple fait d’éviter les allers-retours vers un poste fixe). Les services web (SOAP) de l’époque n’étaient pas interopérables avec l’écosystème mobile et donc inutilisable.

Quelle place a l’APIsation dans votre entreprise ?

L’intérêt des APIs a été très vite reconnu dans un premier temps par la cellule IT, et l’API First est devenu l’une des priorités pour tous les nouveaux développements.

Qu’est-ce que les APIs vous permettent aujourd’hui et que vous n’aviez pas envisagé hier ?

Cela nous permet de découpler le développement des services orientés backend et la mise à jour des interfaces utilisateurs web et mobile.
Cela a également offert un time to market considérable puisque dès lors qu’une équipe a besoin d’accéder à une ressource, une donnée, il nous suffit simplement de demander l’accès au travers d’un portail et d’attendre l’approbation, après validation de la finalité de traitement.

Comment cette logique impacte-t-elle votre organisation, vos collaborateurs, vos clients, vos partenaires ?

Certaines équipes en charge des interfaces sont plus proches des utilisateurs, et dans le sens inverse, plus éloignées des équipes en charge du développement API. Ce qui n’était pas considéré comme un mal puisque cela évite que le design d’une API soit trop fortement influencé par le besoin d’une seule application.

Disposez-vous d’une équipe dédiée ou transverse ou externalisée ?

Nous considérons une API comme un produit, en conséquence, chaque API est gérée par équipe dédiée, responsable de la conception, du développement et de la partie opérationnelle.

Le site Decathlon Developers

 

4- Les impacts

En guise de conclusion, 3 leçons à retenir de l’APIsation du sport :

1- L’usager final n’est pas seulement l’usager final, mais sert lui-même d’interface d’échanges.

2- Le self-tracking conduit à une forme de privatisation de la donnée

3- Les APIs ne sont pas toutes conçues pour un usage ouvert

 

5- Les ressources

À lire : L’auto-quantification de son activité sportive altère-t-elle la qualité de l’expérience vécue ? (Matthieu Quidu, ENS Lyon)

À visiter : le site web français pionnier sur l’automesure

À voir : le témoignage de Loïck Peyron à propos de Virtual Regatta (Eurosport)