API et mobilité

API Economy (1/4)

Date
10 septembre 2021
Thématiques
Api economy
Temps de lecture
4 minutes
Rédacteur
Da Cyril
Editeur
Lang Apolline

1- Les enjeux

Depuis le début du XXIè siècle, le transport urbain est devenu multiple, associé à de nombreux opérateurs publics comme privés, ce qui rend parfois complexe le passage d’un service à l’autre, d’autant plus que ce secteur s’est ouvert à la concurrence. Que ce soit dans la préparation de son voyage ou lors du transport lui-même, chacun a dû acquérir un savoir-faire, une stratégie propre, pour naviguer parmi les canaux d'information et les offres, avec des contextes variés. La palette va d’une synchronisation éventuelle lorsqu’une autorité organisatrice de transports intervient, jusqu’aux points de blocage irritants lorsque les services ne sont pas suffisamment interfacés - notamment en temps réel.

Avec l’avènement du digital et de la dématérialisation, c’est toute l’expérience utilisateur qui a été repensée. En misant sur la simplicité et la rapidité d’accès aux VTC, Uber a ouvert la voie en 2009 à une exigence nouvelle de la part des consommateurs.

Pour les entreprises du secteur des transports, l’enjeu est désormais de rendre le parcours client 100% mobile et fluide. Un objectif rendu atteignable par l’utilisation des API (« application programming interface ») qui connectent un système d’information ou une base de données à un service extérieur voire à un autre système d’information. On parle d’« APIsation » lorsque des données sont partagées pour donner accès à son service via un tiers. Et créer ainsi de nouvelles opportunités.

Pour que ces services fonctionnent, ils nécessitent trois ingrédients-clés : des données de qualité, des algorithmes et des serveurs redimensionnables hébergés dans le cloud.

 

2- L’exemple

 

Un tramway à Helsinki (photo: Eoghan OLionnain)

En Finlande, le développeur de programmes de transports MaaS Global (Mobility as a Service) a fait le pari d’une application de mobilité tout-en-un dans la région d’Helsinki : Whim.

L’expérience client est simplifiée à l’extrême : il suffit à l’usager d’entrer sa destination pour que l’application lui fournisse une combinaison des meilleures options de transport de porte à porte. Une fois l’itinéraire validé, le client reçoit son e-billet sous forme de QR code. Grâce à la mise en commun des données de chaque moyen de transport via des APIs, Whim propose un service d’intermodalité complet, sans rupture et sans intermédiaire en intégrant tous les modes existants : taxi, voiture de location, transports publics, vélos en libre-service, etc.

Whim propose plusieurs forfaits. Il est possible d’acheter un voyage ponctuel, de s’abonner au mois à un accès illimité aux transports publics et aux vélos, ou encore de choisir l’abonnement illimité qui donne accès à tout moyen de locomotion. À Whim de faire ensuite évoluer sa clientèle vers des services plus rentables pour consolider son business model.

L’application a été expérimentée à partir d’octobre 2016, puis lancée commercialement dans la capitale finlandaise en novembre 2017. Dès juillet 2018, un million de voyages avaient été réalisés avec Whim. Parallèlement, MaaS Global s’est développé hors de Finlande et a déployé Whim à Birmingham (2016), Anvers (2017) et Vienne (2019), selon des modèles similaires à celui d’Helsinki. Whim s’est aussi implantée à Tokyo comme offre de services aux résidents du groupe immobilier Mitsui Fudosan ; puis en Suisse, provoquant le lancement d’une offre multimodale concurrente de la part des chemins de fer fédéraux.

 

3- Les coulisses de l’APIsation chez… Kisio

Kisio, filiale de Keolis (SNCF), a développé depuis 2013 l’offre Navitia, dont la Data Factory consolide et agrège des données de mobilité (horaires des transports publics, adresses et points d’intérêt, covoiturage, freefloating, etc.). En tout 670 jeux de données sont mis à jour par les équipes et utilisés par une communauté de 20000 développeurs.

Les cas d’usages sont nombreux. Outre les attendus outils de calcul d’itinéraire ou les guides touristiques, une start-up a par exemple créé une canne connectée pour les déficients visuels qui leur indique les horaires de bus à proximité d’un arrêt. Comment trouver le meilleur endroit où habiter avec le moins de temps de transport en Ile-de-France ? Avec Navitia, le site web de la FNAIM Grand Paris intègre l’accessibilité en temps de transport aux données immobilières. Les APIs de Navitia aident aussi les entreprises à optimiser leur plan de déplacement ou leur localisation en cas de déménagement, selon les temps de transport des salariés. À l’inverse, des candidats à un job peuvent intégrer le temps de trajet à leurs critères de recherche d’emploi...

Bertrand Billoud est chargé de la communication chez Navitia et très orienté sur la création de liens dans l’écosystème autour de l’API Navitio.io et toute l’innovation ouverte. Il a accepté de répondre à nos questions.

-        Les APIs faisaient-elle partie de votre projet initial ?

-        Pas du tout !

-        Comment en êtes-vous arrivé à APIser votre activité ? Et pourquoi ?

-        En 2012-2013 il y avait beaucoup de hackathons et on commençait à avoir beaucoup de données sur le transport. A force, ils ont monté un PoC « Move in the City », une API avec les données, et ils ont pitché aux transporteurs. Ça nous a donné envie de faire un produit. Le boss de l’époque a vu que ça nous sortirait de la cave, qu’on pouvait défricher d’autres territoires, d’autres marchés. La SNCF voyant cet engouement autour de Navitia en 2015 a voulu son API sur les trains SNCF en temps réel, qui est depuis utilisée par Trainline, les taxis G7, etc.

-        Et le business dans tout ça ?

-        Il faut proposer des services par l’API pour générer du business. Par exemple, trop de requêtes gratuites, c’est à surveiller. On peut mettre en place du freemium, mais aussi des partenariats. Rien n’est gratuit dans le numérique. Une fois que le SI est fait, globalement le coût marginal est faible mais il faut embaucher un evangelist, des développeurs… Il y a nécessité d’un lâcher-prise et d’accepter que les autres vont faire mieux, et qu’on va le faire ensemble. Être dans le game, plutôt que de ne pas exister. Et on peut monitorer, suivre le modèle -qui est flexible-, accompagner les utilisateurs…

-        Quelle promesse les APIs doivent-elles tenir pour votre activité, votre développement de demain ?

-        Aller vers plus de facilité d’usage, maintenir le lien avec les développeurs qui sont nos premiers utilisateurs. Aujourd’hui les données sont dans deux formats différents, peut être imaginer de nouveaux formats demain ? Nous nourrissons aussi notre roadmap avec les feedbacks des utilisateurs; les gros clients en premier

-        Quelles sont les 3 grandes règles que vous partageriez sur l’APIsation de votre activité ?

1.     Ne pas oublier l’humain, que ce soit à travers la communauté, l’aide, le support

2.     Des données fraîches et de qualité

3.     Faire confiance : aux gens, aux usages à venir…

APIser ou APIfier c’est faire le pari de développer des usages, pour du business, de la R&D, pour faire des trucs rigolos. Je relie l’inclusion à ça : il n’y a pas que les experts qui doivent l’utiliser, on fait le pari de l’intelligence collective, du partage de ressources.

-        Quel est le chiffre-clé à retenir selon vous  ?

-        8 milliards de requêtes par an sur nos APIs !

La DataFactory de Kisio

 

4- Les impacts

En guise de conclusion, 5 leçons à retenir de l’APIsation de la mobilité :

  1. Imaginer la solution en pensant à la ressource à partager, et non à l’usage particulier de ces données.

  2. Maintenir la confiance dans l’algorithme : si un trajet est proposé en imposant un passage devant une enseigne qui a payé pour cela, la confiance est rompue

  3. Travailler sur la DevX (l’expérience utilisateur pour les développeurs) en proposant des boîtes à outils (software development kits, SDK)

  4. Réaliser qu’à un instant t, on est réutilisateur d’API, puis à t+1 on devient concurrent, client, partenaire…

  5. Penser la MaaS (Mobility as a Service) comme un premier niveau de la Smart City

 

5- Les ressources

À lire : Les espoirs et les défis du « Mobility as a service » (Les Échos, avril 2019)

À visiter : Les API Days (à Paris les 7, 8, 9 décembre 2021)

À voir : 1 minute pour découvrir Navitia (vidéo, juillet 2021)