API et fabrication numérique
1. Les enjeux
Les APIs permettent de solliciter des données en continu. Dans l’industrie, couplées à des capteurs sur une chaîne de production, elles ouvrent la possibilité de connecter des outils physiques et des versions numériques de ces mêmes outils, pour créer une copie numérique de la chaîne. On parle alors de “jumeau numérique” (digital twin). On peut donc suivre les étapes de fabrication d’un objet dans le jumeau numérique, et éventuellement intervenir sur la chaîne de production physique.
Les experts estiment toutefois que ces jumeaux numériques (qui sont aussi utilisés dans le domaine de la santé pour personnaliser des soins) se trouvent aujourd’hui dans une phase encore émergente. La technologie n’est pas encore arrivée au stade de la maturité, et l’heure des désillusions - qui marque le cycle de l’adoption d’une innovation avant la consolidation vers une réelle productivité - n’a pas encore sonné.
Pionniers de l’utilisation des machines à commande numérique, les fablabs eux-mêmes se situent encore dans cette étape intermédiaire, la prochaine consistant à créer des machines qui peuvent se reconfigurer en fonction de ce que l’on leur demande de créer. Les données et les APIs pourront alors transmettre des informations sur l’objet et en même temps la façon de créer l’objet, par exemple : un fichier d’impression 3D et en même temps la configuration associée de l’imprimante, où qu’elle soit.
Parallèlement, les progrès technologiques de l’impression 3D ont abouti depuis plusieurs années à des applications industrielles comme la production de pièces complexes en métal pour l’aviation (par frittage sélectif par laser ou fusion laser) ou la fabrication d’objets avec une haute résolution de finition (par pulvérisation de matière).
Le prototypage simplifié, le partage des idées et des connaissances, la rentabilité de petites séries de produits manufacturés : tels sont les trois piliers de ce qu’on a désigné dans les années 2010 comme le début d’une nouvelle révolution industrielle autour de la fabrication numérique, qui n’a pas encore atteint son apogée.
2. L’exemple : Boulanger
Boulanger, spécialiste de l’électroménager et du multimédia en France, a lancé en 2016 happy3D, la première plateforme au monde permettant de télécharger et d’imprimer en 3D des pièces détachées pour l’électroménager domestique. Cette initiative innovante visait non seulement à lutter contre l’obsolescence et prolonger la vie des produits, mais aussi à faciliter la réparation pour les utilisateurs.
Les utilisateurs peuvent télécharger gratuitement les modèles pour les imprimer sur leur propre imprimante 3D. S’ils ne sont pas équipés, ils peuvent faire prendre en charge l’impression via des plateformes comme Freelabster. La pièce imprimée est ensuite expédiée sous 48h.
La solution technique a été apportée à Boulanger par Cults, qui propose des plateformes d’impression 3D en marque blanche. Grâce à une API, Cults propose d’intégrer une bibliothèque de modèles d’objets dans les plateformes.
En 2019, happy3D s’est associé avec l’entreprise roubaisienne Dagoma, elle-même fabricante d’imprimantes 3D, pour le concours “Réparer plutôt que jeter”. Outre l’expertise apportée sur les techniques d’impression, Dagoma a mis en relation l’enseigne française avec sa propre communauté de réparateurs.
En imprimant des pièces de rechange localement, les fabricants peuvent à leur tour changer le business model de leur SAV.
3. Les coulisses de l'APisation chez… Dagoma
Fondé en 2016, Dagoma est un fabricant d’imprimantes 3D à destination des professionnels et des particuliers.
L’entreprise vient de lancer en prévente une nouvelle machine destinée à du prototypage ou de la production en petites et moyennes séries dans des conditions industrielles. Connectée, elle est pilotable à distance. Dagoma cible la grande distribution spécialisée (pour éviter de stocker des pièces détachées), le secteur médical (prototypes d'équipements), industriel, sportif, l'industrie du jouet ou encore le design.
Dagoma a aussi lancé son projet 3D flow qui vise à constituer un réseau d’impression 3D en réseau, disponible 7 jours sur 7. Il s’agit d’interfacer des données (les modèles) avec les logiciels de slicing (qui vont calculer les couches de matière à imprimer) et enfin les imprimantes elles-mêmes. Des APIs assurent l’échange d’informations à chaque étape et la continuité du flux pour ne pas interrompre la fabrication. Parallèlement, une IA gère l’optimisation de l’impression et la mise à jour des logiciels.
Fondateur de Dagoma, Matthieu Regnier opère depuis plus de 10 ans sur les problématiques liées à l’impression 3D. Il a répondu à nos questions.
Les APIs faisaient-elle partie de votre projet initial ?
Oui, car nous les considérons comme la base de notre solution.
Ces arguments sont-ils toujours valables aujourd’hui?
Absolument, ce sont nos API (ouvertes) qui permettront de générer du chiffre d’affaires demain.
Quelle démarche avez-vous suivie, comment avez-vous fait ?
Nous avons choisi une démarche pragmatique : définir la cible, définir les étapes, imaginer l’architecture puis la réaliser et enfin coder.
Quelle place a l’APIsation chez Dagoma aujourd’hui ?
Aujourd'hui, cela concerne seulement quelques personnes, environ 10 à 15% de la boîte soit 4 ETP/mois. Demain, probablement le double. Nous avons une équipe dédiée, avec des collaborateurs internes, externes, et freelance.
Comment cette logique impacte-t-elle votre organisation ?
Il n’y a pas d’impact aujourd’hui puisque nous ne commercialisons pas encore la solution.
Envisagez-vous de nouvelles solutions, de nouveaux interfaçages, une nouvelle démarche ?
Oui bien sûr… Nous allons naturellement faire évoluer nos interfaces, nos API en fonction des usages que nous allons découvrir et analyser, des utilisations que nous n’avions pas imaginées.
Quelle place ont les APIs dans votre stratégie ?
Haute !
Quelles sont les 3 grandes règles que vous partageriez sur l’APIsation de votre activité ?
Être focus sur le métier. Rester flexible pendant le développement. Être à l’écoute des usages réels face aux usages projetés.
4. Les impacts
En guise de conclusion, 4 leçons à retenir de l’API de la fabrication numérique:
- Les APIs sont un moyen de se constituer en plateforme : de fabricant d’imprimantes 3D à un réseau de service pour imprimer n’importe quelle pièce en 3D n’importe où.
- Les APIs permettent de mettre en relation des entités numériques qui ne se connaissent pas.
- Avec les APIs on transforme la chaîne de valeur de l’entreprise.
- APIser des systèmes d’information permet de revendre la valeur ajoutée de l’entreprise à d’autres partenaires.
5. Les ressources
À lire : Makers, la nouvelle révolution industrielle, par Chris Anderson (Pearson, 2012)
À visiter : Présentation d’un jumeau numérique d’une usine Henkel en Serbie (vidéo, 1’28)
À voir : Pour en savoir plus sur Dagoma (vidéo, 1’46)